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Mai 2007 : Marc Chemillier
« Les Mathématiques Naturelles », Odile Jacob
Etaient présents : Céline Petit, Mitsuko Mitsuno, Martha Cécilia Bustamante, Eric Vandendriessche, Agathe Keller, Martin Zerner et Sophie Desrosiers.
La discussion s’engage tout d’abord entre Sophie Desrosiers et Marc Chemillier, sur les rapports entre mathématique et culture. Sophie Desrosiers est persuadée qu’il y a un lien étroit. Marc Chemillier est bien d’accord mais pense qu’il faut décortiquer l’aspect mathématique ce qui demande du travail, un travail qu’il s’est lui assigné de faire.
Sophie Desrosiers explique que l’ethnomathématique est aussi intéressante d’un point de vue plus général pour les anthropologues car en tentant de comprendre des choses abstraites on a accès à certains modes de raisonnement. Elle évoque un séminaire qui a lieu à Nanterre la semaine d’avant sur l’exemplarité des techniques américaines. Elle a été frappée que les réseaux d’analogies sont très courants et expliquent comment certaines nouvelles techniques s’intègrent tandis que d’autres pas. Ainsi on utilise des métiers à tisser à pied, on découpe des habits ‘à l’espagnole’, mais on ne les fusionne pas avec des méthodes et des habits traditionnels ; tandis que le tricot, qui est d’importation récente, est totalement intégré ; au point qu’on fait des tricots double face !
Marc Chemillier commence sa présentation en insistant qu’il veut partir de choses concrètes. Que son épistémologie est enracinée dans son expérience de mathématicien et de l’ethnologie de terrain. Il insiste sur la nécessité de faire des terrains. Il commence par présenter le second chapitre de son livre, qui repose sur des activités de seconde main, les dessins sur le sable, en prenant appuis sur deux corpus, celui établi par Deacon au Vanuatu et celui étudié par Paulus Gerdes en Angola. Comme dans le chapitre 2 de son livre, il s’intéresse aux armatures rectangulaires des premiers et aux grilles du second, soulignant les riches symétries des dessins effectués, qui sont utilisés dans le tracé. Il s’intéresse en particulier aux contraintes pesant sur ce tracé ; notamment ceux étudiés par P. Gerdes, contraints par ce qu’il appelle la monolinéarité. Marc Chemillier montre une famille de dessins respectant cette contrainte : le tracé du motif est possible sur une grille 4x4 et plus généralement sur une grille comportant un nombre pair de lignes et échoue dans le cas contraire. Il existe également une méthode pour transformer un dessin non monolinéaire en un dessin qui le soit. Gerdes ne dit pas si les praticiens ont conscience de cette propriété. Une enquête de terrain serait là absolument indispensable. On pourrait alors se poser la question de savoir s’il y a un essai de généralité.
S. Desrosier explique que cette activité lui fait penser aux fils des pêcheurs, et de manière générale à des activités liés au fil. A. Keller évoque la tradition des Kolams en Inde, et les études mathématiques faites de ces dernières, qui pourrait enrichir le corpus. Elle souligne que l’apprentissage du Kolam passe par le fait de l’apprendre sur la plus petite grille possible, puis ensuite savoir l’agrandir autant de fois qu’on le veut. La connaissance d’un Kolam s’appuie donc sur une connaissance du nombre de colonnes et de lignes avec lesquels ça marche. Eric Vandendriessche, qui a amené des films de ses collectes de tels dessins sur l’île d’Ambrym au Vanuatu, souligne qu’il y a dans ce secteur de véritables experts qui ont une grande maîtrise de l’objet et sont très probablement conscient de certaines de leurs propriétés. Quelques jeunes Ni-vanuatu ont intégré et synthétisé le savoir des anciens de telle sorte qu’ils sont capables de créer de nouveaux dessins. Il explique que le même terme « tu » est employé pour les jeux de ficelle et les tracés sur le sable, et que ce terme signifie écriture. Pour S. Desrosiers ces activités seraient en effet de l’ordre d’une écriture d’avant le langage ? Témoins d’une inscription intelligente, rationnelles mais pas dans la langue ?
Marc Chemillier évoque aussi longuement son travail sur la divination à Madagascar. Qui a déjà fait l’objet d’une présentation au séminaire. Ayant dépouillé depuis un certain nombre de cahiers de matrices mères, il nous livre ces derniers résultats. Certaines matrices mères appelées « toka » jouent un rôle important pour la divination. Marc Chemillier rappelle qu’à chacune des seize figures (colonnes de quatre « paquets » de une ou deux graines) est associé l’un des quatre points cardinaux. Les « toka » sont les matrices mères qui engendrent un tableau (8 figures déduite de la matrice mère) dans lequel l’un des quatre points cardinaux n’apparaît qu’une et une seule fois. Les devins notent dans leur carnet les matrices mères « toka » qu’ils décou vrent.
Marc Chemillier souligne que les carnets des devins témoignent d’un effort d’explicitation de ces savoirs.
Il finit sur les critères que l’on peut employer pour déterminer qu’une activité est mathématique ou non. Est-ce qu’il faut qu’il y ait la trace d’une inférence ? Que le praticien passe de la connaissance d’une accumulation de cas particuliers, à un niveau général.
A. Keller pose la question de savoir ce que M. Chemillier met derrière le mot général. Elle souligne que le travail de K. Chemla a montré qu’on pouvait utiliser des exemples numériques particuliers pour dire du général, qu’il y a un groupe de travail sur ce concept au REHSEIS et que la définition même de cette inférence pose problème. Elle souligne à quel point M. Chemillier prend un point de vue de philosophe, en considérant des actes intellectuels dans l’absolu (l’inférence, la généralisation) en tentant de voir s’ils s’appliquent sur le terrain. En revenant sur le raisonnement suivi dans son chapitre 1, elle souligne que le concept de « mathématiques analogique » sert à ranger des activités mathématiques ou proto-mathématiques très diverses. Ce concept ne semble donc pas très efficace pour faire avancer notre réflexion sur la nature d’une activité mathématique.
S. Desrosier réfléchit sur la notion d’outil : elle explique qu’un outil est le signe d’une idée ingénieuse, d’un raccourci. Mais ce raccourci, par définition presque, est porteur d’un appauvrissement, on perd plusieurs autres chemins en en adoptant un, bien pratique pour un but donné.
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