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Mai 2005 : Eric Vandendriessche

Séance du 26 mai 2005

Discussion des travaux d’ Eric Vandendriessche



Etaient présents : Agathe Keller, Alain le Mignot et Eric Vandendriessche.


La discussion commence librement sur la question des chemins pour arriver à une figure dans les jeux de ficelle. Eric Vandendriessche explique que suivant les régions du globe, il y a des endroits où l’on connaît plusieurs chemins pour arriver à une figure, et d’autres où au contraire le chemin et la figure vont de pair et se mémorisent ensemble. Agathe Keller fait une analogie avec la manière de travailler dans des mathématiques de tradition algorithmique, comme en Chine ou en Inde, où la question d’avoir plusieurs procédures pour arriver à un même résultat est lié à la recherche de preuves, de moyens de vérifier qu’un résultat est correct.


Alain le Mignot pose la question du statut des jeux de ficelle dans les sociétés où ils sont pratiqués. Eric Vandendriessche explique que pour le moment il en sait peu, et que la question se pose de savoir si c’est pertinent pour étudier cet objet en tant qu’objet d’ethnomath. Il pense cependant que les comptines et histoires liées aux figures des jeux de ficelle peuvent aider parfois à la mémorisation de ceux-ci. Mais ce n’est pas toujours le cas, puisqu’il existe des comptines qui sont dites, une fois que le jeu est réalisé. Eric ajoute que les jeux de ficelle ont intéressé les anthropologues car ils ont été vus comme un moyen d’attester des échanges entre des communautés parfois fort éloignées. La question se pose toutefois de savoir si on retrouve ici et là des sous-procédures ou des figures communes si elles attestent ou non d’un échange, ou si ces figures et opérations naissent des contraintes inhérentes au jeu.


Agathe Keller souligne là encore qu’il existe des analogies avec l’histoire des mathématique. Ainsi dans la tradition savante en Inde, les sûtras ont des formes mnémoniques reposant sur des jeux de mots, qui servent à mémoriser des algorithmes. Par ailleurs, l’étude des échanges mathématiques soulève le même problème lorsqu’on n’as pas un texte traduit d’une langue dans une autre. Lorsqu’on retrouve des irrationnels en Inde et en Chine, qui sont conçus de manière très similaire mais en même temps différente : es-ce du aux contraintes des sujets mathématiques abordés dans l’un et l’autre cas (comme par exemples des triangles rectangles) ou est ce le signe d’un échange, d’un ancêtre commun etc ? Eric rétorque que cette idée est bien celle des jeux qui parfois se ressemblent vraiment sans être tout à fait pareils.


La question revient sur le fait de savoir si les jeux de ficelle sont enjeu de savoir pour ceux qui les pratiquent. Agathe Keller revient sur les expressions utilisées par Eric dans son DEA pour qualifier le travail intellectuel présent dans les jeux de ficelle. Faut-il parler de « traces », comme si le travail intellectuel était séparé du travail gestuel lié aux jeux de ficelle, où trouver d’autres termes comme « expression » qui tendraient à suggérer que ce travail intellectuel se fait dans la gestuelle ? Encore et encore la discussion reviendra à la question de savoir s’il y à un savoir-pratique, savoir-faire, qui implique une connaissance du système, mais qui existerait sans théorisation de celle-ci. Pour Eric Vandendriessche, il est impossible pour le moment de trancher. Nous évoquons la musique et la langue qui peuvent être théorisés comme des systèmes mais pratiqués par des personnes très créatrices qui les connaissent bien mais qui ne pensent pas en ces termes. La notion de motif ou de phrase musicale avec son rythme et sa syntaxe peuvent exprimer la manière dont le jeu de ficelle est tout à la fois un processus et une suite d’objets topologiques/géométriques.


Agathe Keller revient sur la manière dont Eric Vandendriessche utilise Marcia Ascher en soulignant ce qu’il retient d’elle : l’idée d’intentionnalité et de structure/système qui n’est pas ce qu’il met en avant dans la première partie de son DEA. Eric Vandendriessche répond qu’il utilise sa notion d’idées mathématiques reposant sur les nombres ou les configurations spatiales, car c’est avec elles dans un cadre procédural que l’objet jeu de ficelle apparaît comme étant mathématique.


Agathe Keller demande à Eric Vandendriessche de préciser comment s’articule le fait que l’objet jeu de ficelle peut – être vu comme un processus ou comme un objet statique géométrique. Eric Vandendriessche évoque les travaux mathématiques sur les jeux de ficelle, en rapport avec la théorie des nœuds. Une équipe d’informaticiens japonais a obtenu une caractérisation de l’objet « jeu de ficelle » en utilisant un polynôme de nœuds dérivé de celui de Vaughan Jones. Ils ont montré que l’on peut à chaque étape « stable » d’un jeu de ficelle (qu’ Eric appelle « position normale ») associer un polynôme caractéristique de cette position. Il s’agit ensuite d’étudier les transformations de ce polynôme sous l’action des différentes opérations élémentaires. Un jeu de ficelle pourrait donc être décrit par une suite de polynômes. Eric Vandendriessche souligne que cette caractérisation de l’objet « jeu de ficelle » est basée sur la description d’un certain nombre d’états statiques et de ce fait a du mal à rendre compte du mouvement.


Pour pouvoir étudier un corpus de jeux de ficelle et/ou comparer plusieurs corpus, Eric Vandendriessche a élaboré un langage symbolique permettant de décrire ces longues procédures par une seule « formule ». Il nous montre également un programme qu’il a élaboré qui permet en saisissant les « formules » d’un corpus donné de rechercher la fréquence de telle ou telle opération élémentaire ou sous-procédure. Agathe Keller souligne que ce langage symbolique permet d’envisager la création d’une base de données en ligne qui permettrait à tous (anthropologues aillant collectés des jeux de ficelle ou des passionnés de l’ISFA, « International String Figures Association) d’y insérer leurs corpus. Agathe Keller pose la question de savoir si d’autres tentatives de symbolisation ont déjà été faites. Eric Vandendriessche répond qu’un passioné japonais utilise un tel langage pour partager des jeux de ficelle avec les membres de l’ISFA. Agathe Keller conseille de bien réfléchir avant de créer un base de données en utilisant ce codage. Il serait dommage de ne pas pouvoir profiter d’un travail déjà réalisé, à cause d’une trop grande différence dans le symbolisme utilisé.


Eric rend compte de travaux de théorie des nœuds qui pourraient s’avérer intéressant pour une mathématisation des jeux de ficelle. Récemment le mathématicien américain Louis Kauffman a publié quelques résultats à propos d’un objet appelé « tangle », que nous pourrions traduire par « enchevêtrement ». Cet objet se contruit à partir d’une sphère. Un premier fil la traverse de part en part. Un second fait de même après s’être « entortillé » (ou non) autour du premier, puis un troisième traverse la sphère après un « entortillement » autour des deux précédents, etc…jusqu’au n ième fil. On obtient alors un « n-enchevêtrement ». Au cours d’un jeu de ficelle chaque position s’identifie facilement à un certain « enchevêtrement ». L’étude des « 2- enchevêtrements » mène à des résultats qui intéressent les biologistes pour modéliser des recombinations possibles de l’ADN lorsque celui-ci a été coupé à certains endroits et re-soudé à d’autres par des enzymes. Il y a un théorème que l’on doit au mathématicien John Conway, puis redémontrer différemment par Louis Kauffman. Une certaine classe de 2- enchevêtrements est en correspondance biunivoque avec l’ensemble des rationnels auquel on adjoint le point à l’infini. On démontre qu’à chaque 2-enchevêtrement de cette classe (appelés les « enchevêtrements rationnels ») on peut associer une fraction continue. . Compte tenu de ces résultats, Eric Vandendriessche explique qu’il a le sentiment que les jeux de ficelle ont peut-être été vus, dans certains cas, comme une sorte d’arithmétique - des torsions… Nous regrettons que Sophie avec son savoir sur les fils.. de tissages ne soit pas là pour nous faire part de ces réflexions.